dimanche 11 mars 2012

L’avion du président tunisien déchu et le malaise des normes comptables tunisiennes : faudrait – il que la tunisair applique l’IFRS 5 ?



La Tunisair est une compagnie en difficulté. Cette difficulté, qui a atteint son paroxysme en 2011, est, d’une part, la conséquence du repli de l’activité économique (les revenus de 2011 – estimés à 878 975 KDT – ont connu une baisse de 11,3% par rapport à ceux de 2010) et des conditions sécuritaires qui caractérisent l’ère post-révolution. Cette période de crise est d’autre part, renforcée par l’augmentation des prix du carburant qui a « induit le recours à des crédits d’exploitation dont le volume est aux alentours de 8% du chiffre d’affaires» (source). Une difficulté qui devrait être traduite fiablement et pertinemment dans les états financiers de cette compagnie.



Dans ce cadre, il faut mentionner que la situation financière de Tunisair prend en considération l’existence de deux avions hors plan de vol et hors stratégie commerciale dont le coût global, selon le rapport des commissaires aux comptes de l’exercice 2010 (source), est estimé à 266 684 millions de dinars. L’un de ces avions est un airbus A 340 qui pourrait inspirer plusieurs histoires (lamentables bien sûr et malheureusement !!) au contribuable tunisien.

L’airbus A340 est le splendide avion choisi par le président tunisien déchu pour se déplacer, lui et tous les membres de sa famille, confortablement d’un lieu à un autre. Cet avion acquis en 2009, puis réaménagé (par les soins de la société française Sabena technics) pour correspondre aux goûts (très bien cultivés à travers 23 ans de vie luxueuse dans les palais) de l’ex président tunisien et de sa femme. En effet, cet avion, ayant la capacité de voler 16 000 km sans arrêt, contient des chambres et des salons dont le décor est assuré par Louis Vuitton.



Au titre de l’exercice 2010, les charges attribuées (dotations aux amortissements, charges financières, pertes de change) à la détention des deux dits avions s’élèvent à 15 702 millions de dinars. Quant aux produits (liés aussi à cette détention) réalisés au titre du même exercice, ils s’élèvent à 400 millions de dinars ; soit un résultat net de - 15 302 millions de dinars. Par ailleurs, les commissaires aux comptes de la Tunisair mentionnent dans leur rapport que la compagnie aérienne «a obtenu le 3 mars 2011 l’autorisation pour la mise en vente de ces deux appareils ». Cette situation est régie comptablement par les dispositions de la norme comptable internationale IFRS 5 : Actifs non courants détenus en vue de la vente et activités abandonnées. Cette norme recommande que les actifs qui satisfont aux critères de classification comme détenus en vue de la vente (nous rappelons que les deux avions de Tunisair sont disponibles en vue de la vente dans leur état actuel et cette vente est hautement probable ( étant donnée que l’autorisation a été obtenue de la tutelle – à savoir le ministère de transport) soient (1) évalués au montant le plus bas entre leur valeur comptable et leur juste valeur diminuée des coûts de la cession, (2) ne soient pas soumis au calcul de l’amortissement, (3) soient présentés dans le bilan d’une manière séparée et (4) les résultats y relatifs soient présentés distinctement dans le compte de résultat. A cet effet, et puisque l’autorisation est attribuée après la date de clôture de l’exercice 2010, les commissaires aux comptes auraient dû mentionner au niveau des notes aux états financiers (1) une description des actifs non courants (en l’occurrence les deux avions) et (2) une description des faits et des circonstances de la vente ou conduisant à la cession attendue, les modalités et l’échéancier prévus pour cette cession. Cet effort relatif à la reconnaissance du fond économique de cet événement (actifs détenus en vue de la vente) a pour objectif de fournir aux lecteurs des états financiers de la Tunisair (investisseurs, Etat, personnel, analystes financiers, journalistes et d’une manière générale tout le public soucieux de la gravité de la situation dans la quelle se trouve la compagnie aérienne nationale) des informations permettant d’évaluer les effets financiers de la cession future de l’actif (IFRS 5 § 30). D’autre part, les états financiers (bilan, état de résultat, état de flux de trésorerie) de l’exercice 2011 (non encore publiés jusqu’à cette date) doivent tenir compte de cet événement.

Dans ce cadre, on pourrait évoquer le fait que la Tunisie n’a pas encore adopté les normes comptables internationales, pourquoi donc parle-t-on d’une application de l’IFRS 5 ?
En effet, même si on n’a pas encore adopté ces normes internationales on peut, si le cas est particulier et n’est pas repris par la normalisation nationale (en l’occurrence le système comptable des entreprises (1997)) on peut se référer à une norme internationale si cette dernière ne contredit pas les principes comptables prévus par le cadre conceptuel tunisien. D’ailleurs, dans le même rapport des commissaires aux comptes de la Tunisair il est fait référence à l’IAS 17 révisée lorsque les biens acquis en leasing par Tunisair ont été évoqués ! (aussi, on peut revenir aux anciens rapports des commissaires aux comptes - par exemple ceux datant de 2005 - pour comprendre qu'en Tunisie, nos professionnels font toujours référence aux normes comptables internationales (source)). De même, l’application de l’IFRS 5 ne contredit pas le cadre conceptuel tunisien ; mais au contraire elle le respecte dans une large mesure. En effet, le vrai problème est pourquoi associe-t-on à ces deux avions des charges d’amortissement, des charges financières et des pertes de change en les confondant avec d’autres charges d’exploitation, s’ils (les deux avions) ne contribuent pas d’une manière significative à apporter à la Tunisair des avantages économiques ? (nous rappelons que ces deux avions sont mis actuellement hors plan de vols et hors stratégie commerciale). Si on considère ces avions comme faisant partie des actifs non courants, on n’est donc pas entrain de respecter le principe de rattachement des charges aux produits. Je rappelle aussi, que d’autres grandes entreprises tunisiennes appliquent des normes internationales ou une partie de leurs dispositions. Je cite l’exemple du groupe chimique tunisien qui applique l’IAS 19 (avantages du personnel) pour comptabiliser les quatre salaires qui seront versés aux salariés lorsqu’ils auront leur retraite. Le passif (appelé épargne sur charges sociales) constitué (au titre de l’exercice 2009) suite à la prise en compte de cette norme s’élève à 19 388 KDT : ce qui n’est pas peu !

Dans tous les cas, le cas Tunisair donne au normalisateur tunisien : le Conseil National de la Comptabilité le nième signal voulant dire que notre normalisation comptable commence à devenir malade et nécessite, a cet effet, une mise à jour immédiate et un effort considérable de benchmarking. Autrement, il est inutile de parler en Tunisie d’analyse économique et financière, véritable outil de diagnostic de notre croissance (à court terme) et de notre développement (à moyen et long terme) économiques.

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