vendredi 25 mars 2011

Réflexion sur l’adoption des IFRS en Tunisie


Par Sawcen Chebaane (Universitaire; doctorante en comptabilité)
Depuis des décennies, L’adoption des IFRS par les pays en développement en particulier, a suscité l’intérêt non seulement des chercheurs mais aussi des praticiens et a fait émerger deux courants de pensée antinomiques. Les pays en développement sont les nations caractérisées par un indice de développement humain moyen, par la prédominance du secteur public et l’absence ou encore la mal organisation des marchés financiers du coté économique et par une profession comptable non développée pour certains pays en développement et même l’inexistence de normes nationales pour d’autres.
Le premier courant considère qu’une telle adoption est pertinente pour les pays en développement, leurs permettant d’accroitre l’investissement direct étranger, d’améliorer la situation des bourses déjà existantes, de rendre l’information financière, au sein de ces pays, plus comparable et plus transparente sans oublier l’élimination des coûts d’élaboration des normes nationales surtout que cette normalisation sera déléguée à l’IASB, organe de normalisation international privé, par voie de l’adoption de ces IFRS. De tels avantages seront réalisés grâce à la flexibilité des IFRS répondant ainsi aux besoins des pays développés et ceux en développement. Le deuxième courant, par contre, admet que l’adoption de ces normes internationales par les nations en développement comme non pertinente et non adéquate, du fait que ces normes sont très complexes, sophistiquées, fortement influencées par la culture anglo-saxonne (orientation vers les marchés de capitaux), lourdes à appliquer et nécessitant des connaissances assez approfondies en anglais par les utilisateurs de ces normes et engendrant des coûts importants que ce soit par le pays adoptant ( formation)ou par les sociétés appliquant( formation, installation du système ERP) ces normes. Ils rajoutent même que l’adoption des IFRS par ces pays n’est qu’une réponse à des pressions exercées par les institutions internationales financières (la banque mondiale et le fond monétaire international) ou/ et non financières (Big4, les multinationales).
Faisant partie des pays en développement, la Tunisie sera amenée à adopter les IFRS tôt ou tard, soit par mimétisme (l’union européenne a adopté les IFRS depuis 2005) soit pour répondre aux pressions exercées par les institutions financières internationales surtout que la Tunisie a été désignée par plusieurs experts comme étant «un bon élève de la banque mondiale ». Entre temps, la question relative à la pertinence des IFRS pour ce pays reste posée. La Tunisie est un pays arabo-musulman, dominé par la culture euro continentale due à la colonisation française étalée sur 75 ans. Sur le plan économique ; malgré les tentatives de privatisation entreprises dès les années 90, la taille des entreprises publiques demeure importante. De plus, le secteur tunisien est dominé par les micros, les petites et moyennes entreprises. (83% d’un total de 84500 entreprises sont des micros entreprises). Est-ce que ces micro-entreprises sont vraiment aptes pour supporter la lourdeur des IFRS (Full IFRS) ? Et même si on va parler de l’IFRSPME (créée par l’IASB depuis juillet 2009 pour les petites et moyennes entreprises), cette dernière sera- elle convenable pour ces entités ayant des dispositifs comptables, financiers et humains plutôt simplistes pour ne pas dire rudimentaires ? Est ce que ces entités sont prêtes pour subir les conséquences de cette nouvelle formule telle que conceptualisée par l’IASB sans qu’elle n’a été testée auparavant ?
Sur le plan financier, jusqu'à 2009 la bourse des valeurs mobilières de Tunis connait la cotation uniquement de 52 entreprises dont 23 sociétés sont des établissements financiers, situation qui peut être expliquée par la mentalité des investisseurs tunisiens dominée par l’orientation au financement auprès des banques et par les habitudes des épargnants (achat de terrains, constructions). Dans ce cas, la simple adoption des IFRS sera-elle suffisante pour améliorer la situation de la bourse de tunis ? Est-elle suffisante pour désorienter la mentalité des dirigeants et des investisseurs tunisiens ? Sinon, n’est-il pas judicieux d’activer le marché financier tunisien avant d’adopter les IFRS qui nécessitent un marché actif pour pouvoir appliquer la notion de juste valeur ?
Pour ce qui est normalisation comptable, la Tunisie a été considérée comme étant avant-gardiste suite à l’instauration du nouveau système comptable des entreprises répondant à ses besoins nationaux micro-économiques et surtout adhérant à la logique internationale tout en favorisant la méthode du coût historique, depuis 1996. Néanmoins, malgré les tentatives du normalisateur tunisien à déraper la comptabilité tunisienne, vers une anglo-américaine privilégiant l’investisseur, le niveau de divulgation de l’information financière est resté restreint à cause des pressions exercées par l‘administration fiscale ( 1ier utilisateur concret de l’information financière).D’un autre coté, bien que la profession comptable était bien réglementée en Tunisie depuis 1983, la connaissance des IFRS est un atout rétréci aux experts comptables . Pour la majorité des autres professionnels (comptables), les connaissances sont plutôt limitées au système comptable tunisien : une auto-formation en la matière et en anglais parait être primordiale avant d’entreprendre une telle adoption des IFRS. Sur un autre plan, Les recherches tunisiennes en comptabilité sont encore de l’ancre sur papier stockées dans les bibliothèques. Il sera pertinent et judicieux que le conseil national de comptabilité prenne en considération les résultats trouvés dans les recherches orientées IFRS (études de perception…) et d’impliquer les différentes parties pour la prise d’une telle décision stratégique surtout qu’on est dans une nouvelle ère supposée admettant la démocratie. Enfin, il convient de noter qu’il existe une disparité énorme quant à l’appréciation des avantages, des défis potentiels et surtout quant au choix de la stratégie à suivre pour instaurer les IFRS en Tunisie : une simple convergence du système actuel avec les IFRS, pour les préparateurs et les utilisateurs des états financiers, une adoption des IFRS limitée aux sociétés cotées (les enseignants chercheurs de comptabilité) et IFRS pour les sociétés cotées et IFRS PME pour le reste. L’absence de consensus concernant ce sujet sera à l’origine de la non-conformité aux exigences des IFRS en cas d’adoption et donc les objectifs ambitionnés ne seront pas atteints.

samedi 12 mars 2011

Des questions

Par Mohamed Faker KLIBI (Universitaire)
Après la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l’Union Soviétique, le mot d’ordre devient : mondialisation… et le mot clé qu’on peut lui associer : one size fits all !!. Dans ce cadre, tous les pays de ce monde on perdu leur intimité économique, politique, sociale et même culturelle. Dans ce nouvel ordre mondial, la normalisation comptable n’a pas été épargnée par cette vague de mondialisation et depuis, l’International Accounting Standards Board (IASB) a trouvé une légitimité qu’il cherchait depuis 1973 ; date de sa création. Les IFRS sont des normes sophistiquées et qui ont pour objectif d’élever la qualité du reporting financier des entreprises qui les appliquent. En termes moins savants, avec les IFRS, les comptables ne seront plus considérés comme de simples compteurs d’haricots !!. Cependant, ces normes sont – elles utiles pour les Pays En Développement ? Les professionnels comptables (les experts comptables, les comptables agrées et les comptables salariés) et les enseignants de la comptabilité sont – ils dotés d’une vraie culture d’apprentissage à vie (lifelong learning) que suppose la maîtrise des IFRS ? Nos universités sont – elles prêtes pour assurer des cours qui respectent l’esprit des normes internationales ? Nos entreprises sont – elles bien gouvernées pour appliquer d’une manière neutre les IFRS ? Et si ces normes ne sont pas appliquées d’une manière neutre avons – nous une forte société civile pour dénoncer voire sanctionner toute pratique ayant pour objectif de nuire à la transparence financière et économique ? Enfin, l’adoption des IFRS ferait – elle des pays en développement…des pays développés ????... ?
Ce blog a pour objectif de générer des réflexions qui prennent en compte un ou plusieurs mots clés suivants : IFRS – Pays en développement – Pertinence d’adoption – état de transparence – développement économique, politique, social…etc. Si cette idée vous intéresse, merci de me faire parvenir vos réflexions à l’adresse suivante : faker.klibi@planet.tn

dimanche 6 mars 2011

Les normes IFRS dans les pays MENA : parle-t-on d’un produit de marque ?


Anas KOSSENTINI (Universitaire ; Doctorant en Sciences Comptables)

Longtemps débattue dans les écrits académiques et professionnels, la question de la pertinence des normes comptables internationales –IFRS–, pour le cas des pays en développement, a fait l’objet de vives contestations constamment renouvelées. L’organisme international de normalisation comptable (IASB), jouit ces dernières années d’une reconnaissance mondiale, non seulement dans les pays développés (pays de la zone Euro, Canada, Australie), mais aussi dans les pays en développement, entre autre les pays MENA (Les pays du Moyen Orient et du Nord Afrique). Confier la normalisation comptable à un organisme professionnel privé et distant dans ces pays laisse surgir à la surface d’un débat, de plus en plus routinier, une vague de questions, et même parfois, « d’énigmes » où les réponses semblent être divergentes et antinomiques. Est-ce-que le recours à de telles normes, originairement conçues pour satisfaire le besoin des pays développés, pourrait jouer le rôle d’un substitut merveilleux des normes comptables locales, parfois, inexistantes ? S’agit-il d’un réel besoin de transparence de l’information financière ou d’un simple mimétisme aveugle, privé de toute sorte de réflexion ou d’esprit critique ? Parle-t-on d’un produit de marque permettant à son acquéreur de conquérir un certain « prestige » commercial, ou du moins une légitimité ?
Même si, parfois, l’adoption des IFRS n’est pas totale, aujourd’hui, aucun pays MENA n’ignore ou rejette les IFRS. Si, d’un coté, on s’inspire de ces normes internationales pour concevoir les normes locales (par exemple la Tunisie et l’Iran), on peut, d’un autre coté, les rendre permises (par exemple le Maroc et l’Israël) ou même obligatoires pour quelques types de sociétés (par exemple l’Arabie Saoudite). Nécessitant l’adoption totale des IFRS pour pouvoir qualifier un pays d’adoptant sérieux, plusieurs sont ceux qui pensent que les autres formes d’adoption « partielle » ne sont qu’une façade trompeuse, qui se dissimule derrière la fameuse expression « adoption des IFRS ». Le recours à ces formes d’adoption déplacées et qui défavorisent les normes comptables locales, souvent satisfaisantes et qui sont conçues pour répondre aux particularités du pays, est accompagné par un manque de familiarisation tant sur le plan éducatif que professionnel.
Considérées aux yeux du professeur Belkaoui comme « transfert/adoption d’une technologie », les normes IFRS ressemblent ces jours-ci à « facebook » (le portail de communication le plus populaire dans le monde). Même si ce dernier s’affronte à des produits de substitutions (essentiellement Twitter et FlickR), offrant parfois des caractéristiques plus sophistiquées, aucun des utilisateurs des réseaux sociaux ne peut se passer à coté d’un compte « facebook ».
En effet, si on prend l’exemple du Maroc qui a rendu l’utilisation des IFRS permise pour les sociétés cotées à partir de 2004, on remarque que quelques sociétés ont opté pour le référentiel international, alors que les autres continuaient à utiliser les normes marocaines qui se rapprochent d’un modèle comptable franco-germanique. Face à deux référentiels complètement divergents, le résultat ne peut être qu’une paralysie au sein du milieu des affaires. Certes, les préoccupations de la légitimité internationale sont importantes, mais, dans un monde caractérisé par le décloisonnement des marchés financiers et économiques, la valeur ajoutée que pourrait apporter le titre « pays adoptant des IFRS », semblerait prendre le dessus. Attirer les investisseurs étrangers par une pseudo-adoption, a pour objectif de faire apparaitre avoir un meilleur reporting financier basé sur un produit de marque (IFRS), légitime et internationalement reconnu.
Bien que l’analyse ci-haut avancée ait parti d’une logique commerciale, expliquer un phénomène comme celui de l’adoption des IFRS dans les pays en développement reste toujours ardu et nécessite de gros efforts de la part des chercheurs en la matière. Face à cet énorme défi, et en ayant confiance en la qualité des chercheurs tunisiens et arabes, je suis plein de certitudes que les travaux et les écrits dans ce sujet vont se multiplier dans une ère de démocratie globale qui règne le monde arabe. Une ère, où les plumes se sont libérées.