vendredi 10 juin 2011

L’IASB contribuerait – il au développement comptable des pays en développement ?



par Mohamed Faker KLIBI - Docteur ès sciences comptables (Université de Tunis)
Les pays en développement doivent faire mieux pour améliorer le bien être de leurs citoyens. Pour qu’il y ait bien-être, il faudrait qu’il y ait création de richesses (économique, culturelle, sociale…) tout d’abord, et partage équitable par la suite. Le bien-être économique touche les besoins les plus vitaux, mais aussi, grâce à sa « disponibilité » les autres formes de bien-être pourraient être accessibles. C’est la justice sociale qui doit « coller » à un développement économique qui nous permettrait de mériter ce satisfecit. La création des richesses économiques se fait dans des boîtes noires qu’on appelle entreprises. Ces dernières ont- elles des comptes à rendre ? bien sûr, je dirais. Des comptes à rendre à toute une nation, car c’est cette dernière qui a délégué à ces entreprises la tâche de la création de richesse qui se fait à partir d’une terre qui lui appartient et dieu sait, combien ces pays ont souffert pour défendre et récupérer leurs terres. Cependant, le problème c’est que nous sommes devant une situation absurde : les citoyens des pays en développement ne demandent -souvent- pas de comptes et les entreprises se contentent de publier des miettes d’informations. A mon sens, il s’agit d’un manque de développement comptable qui doit impérativement accompagner tout développement économique. Le développement comptable est le moyen qui permettrait de mettre terre à terre des concepts peu actionnables ayant été définis dans des tours d’ivoire telles que : justice sociale, bonne gouvernance, meilleure allocation des ressources…Le développement comptable vise la transparence financière dont le principal atout demeure la bonne utilisation des normes (comptables bien sûr) par des professionnels comptables qualifiés. Ces dernières années, on parle de plus en plus des normes IFRS produites par l’IASB. Je pense que ce méga – normalisateur devrait réviser sa stratégie pour avoir l’adhésion volontaire des pays en développement. Explication…

L’IASB : l’inventeur des IFRS
L’IASB (International Accounting Standards Board) est un organisme, de droit privé, chargé de la normalisation comptable à l’échelle internationale. Il fut créé en 1973 par le concours de neuf pays industriellement et financièrement développés (à l’exception, peut être du Mexique). A cette date, les normes comptables internationales, dites IAS (International Accounting Standards), ne bénéficiaient pas de beaucoup de crédit et de notoriété et ce, malgré le soutien de l’OICV (l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs) qui les recommandait (sans succès significatif) aux pays membres. En effet, les IAS étaient considérées comme trop laxistes et manquaient de rigueur dans la mesure où elles offraient plusieurs options et méthodes comptables susceptibles de nuire à l’une des caractéristiques qualitatives prévues par le cadre conceptuel de l’IASB à savoir la comparabilité des informations comptables et financières. La réussite des IAS, mesurée par le nombre d’adoptions par des normalisateurs nationaux ou, autrement par le nombre de leurs followers (si on emprunte le jargon de twitter), était donc partielle et, ne pourrait, à mon avis, être envisagée en dehors des trois cadres suivants :
• Quelques entreprises de grande taille et ayant une envergure internationale appliquaient ces normes d’une manière individuelle et volontaire, c'est-à-dire sans que ladite application ne soit prévue par une loi nationale. Ces entreprises appartiennent généralement aux pays développés.
• Quelques pays en développement, comme le Zimbabwe, ont adopté les IAS d’une manière pure et simple (sans aucune modification susceptible de respecter les spécificités de leur tissu économique et social). Une pareille adoption se justifiait par le fait que ces pays n’ont pas les moyens financiers et humains pour s’investir dans l’élaboration et la mise en place des normes comptables locales. En outre, dans ces pays, les acteurs économiques ne sont pas capables de faire l’association entre une normalisation comptable bien assimilée et bien pratiquée d’une part et, le développement économique et financier d’autre part.
• Quelques pays en développement avaient adopté une stratégie de normalisation dite d’adaptation dans la mesure où ils avaient décidé de prendre le référentiel comptable international comme une source d’inspiration. C’est le cas par exemple de la Tunisie et de l’Algérie.
Le vrai succès de l’IASB devient une réalité après la décision des pays de l’Union Européenne d’adopter les normes comptables internationales et ce, par la mise en place du règlement CE 1725/2003 du 29 septembre 2003. En cette année, toutes les normes IAS ont été adoptées (de l’IAS1 à l’IAS 41) sauf celles qui traitent des instruments financiers, à savoir les IAS 32 et 39. L’application de ces normes devient obligatoire à partir de l’exercice comptable 2005. Cette aubaine, favorisée par le processus rompant de la mondialisation, a été aussitôt saisie par l’IASB. En effet, ce dernier a entrepris tout un chantier de réformes, déjà engagées depuis 2001, en proposant un nouveau produit appelé IFRS (International Financial Reporting Standards). La stratégie actuelle de l’IASB est donc, de produire des normes comptables, à caractère financier, de haute qualité qui favorisent la transparence financière, et pour les grandes entreprises (full IFRS) et, depuis 2009, pour les petites et moyennes entreprises (la norme IFRS pour PME). Les IFRS mettent plus l’accent sur le reporting financier des entreprises et leur application compte sur le jugement professionnel des comptables. Ce jugement doit être guidé par le respect des objectifs explicitement énoncés dans le cadre conceptuel de l’IASB : satisfaire des utilisateurs de l’information financière afin qu’ils puissent s’engager dans des décisions économiques (pour les bailleurs de fonds, clients, fournisseurs, Etat…) et sociétale (pour le grand public d’une manière générale : salariés, journalistes et groupes de pression appartenant à la société civile) adéquates.
Actuellement, plus qu’une centaine de pays a déjà adopté les IFRS. Plusieurs autres pays (même les Etats – Unis) ont déclaré leur intention d’adopter ces normes et ont déjà mis en place une feuille de route pour atteindre cet objectif. Avec ce succès, l’IASB devient un organisme comparable à la banque mondiale ou au FMI, non pas du point de vue activité bien sûr mais plutôt du point de vue taille, notoriété internationale et...capacité d’influence.
Et les pays en développement dans tout ça ?
Confrontée à l’inévitable mondialisation et ses gardes fous, la majorité des pays en développement, consciente de son échec en matière de choix de ses modèles de développement socio-économique…et politique, a opté pour l’ouverture sur l’économie internationale. Ceci, s’est traduit par l’acceptation des aides et de l’encadrement (technique et technologique) des pays développés et des organisations financières internationales. Ces derniers exigent un monde unique (de préférence libéral) et sans idéologies- extrêmes. Sur le plan comptable, le phénomène qu’on a observé ces dernières années, c’est que, de plus en plus, des pays en développement courent derrière l’adoption des normes de l’IASB. C’est la logique du ‘‘one size fits all’’. Cette adoption s’est faite sous la pression de la banque mondiale et du FMI et ce, à travers les rapports sur le respect des normes et des codes (tous ces rapports sont publiés dans le site de la banque mondiale http://www.worldbank.org/ifa/rosc.html).
Actuellement, je pense qu’il est très difficile qu’un pays en développement puisse adopter et appliquer convenablement les normes comptables internationales, conçues originellement pour les besoins des économies développées et pour être appliquées par des professionnels comptables très bien formés. Je rappelle que les normes internationales sont fondées sur des principes généraux et ne prévoient pas, comme par exemple leurs homologues américaines, des règles détaillées qui facilitent leur compréhension. D’autant plus, ces normes sont très volumineuses : le référentiel comptable de l’IASB comprend plus de 3000 pages !
En revanche, à mon avis, pour pouvoir appliquer avec rigueur les IFRS il faudrait, tout d’abord, s’investir dans les ressources humaines : former les comptables, soit un coût supplémentaire pour les entreprises qui ont bien d’autres chats à fouetter, mais aussi former les formateurs et d’une manière générale, il faut penser à instaurer une culture comptable qui vise le développement comptable ô combien nécessaire pour atteindre un développement économique. Ce que j’entends par développement comptable ? C’est l’adéquation entre les normes comptables adoptées et la pratique comptable en vigueur. Cette adéquation donne lieu à des informations financières de qualité pour répondre à une demande effective faite par un public se trouvant à l’extérieur de l’entreprise et qui a vraiment besoin d’un état de transparence. Dans nos pays, force est de constater que nos normalisateurs sont inactifs. Cet « inactivisme » prend place car on ne croit pas au vrai rôle de la comptabilité en matière de développement économique, lequel passe par la disponibilité d’une gouvernance d’entreprise efficace qui garantit un minimum de fiabilité et d’exactitude des comptes pour pouvoir analyser, commenter et influer positivement sur ledit développement.
Le développement comptable dans les pays en développement : Quel rôle pour l’IASB ?
Bien entendu, l’IASB n’est pas un ange de lumière. Plusieurs opposants l’accusent d’impérialisme et mettent en question son rôle consistant à entrainer les pays du monde dans une ère de capitalisme comptable. Ces contestations se font de plus en plus fréquentes surtout suite à la crise financière qui a frappé de plein fouet l’économie (financière puis réelle) internationale. En effet, les normes internationales se basent sur le principe de la juste valeur qui pousse les entreprises à évaluer leurs emplois et ressources en se référant aux fluctuations du marché (parfois agressives et sans raisons objectives et ce, en cas de crise de confiance ou de l’existence de spéculations exagérées). En deux mots, la juste valeur n’aime pas les spéculateurs peu rationnels qui peuvent créer des bulles spéculatives non représentatives de l’économie réelle. Ces bulles trouvent une place dans les états financiers si le comptable applique stricto sensu le principe de juste valeur. L’utilisation des IFRS est donc dangereuse si ces normes sont appliquées avec peu de compétence et de responsabilité. C’est pour cette raison que les pays en développement devraient être bien préparés pour une meilleure application des IFRS et l’IASB doit apporter son aide à ces pays.
Si nos pays courent derrière l’adoption des normes de l’IASB, ce dernier court – il derrière la bonne application de ces normes ? Je dirais non. L’organisme de la normalisation internationale nous regarde passivement de sa tour d’ivoire londonienne. Il est grand temps qu’il agisse dans le bon sens. Tout d’abord, il doit compter dans son board des membres qui représentent effectivement et sérieusement les intérêts et expriment les vrais besoins des pays en développement. Ensuite, ces membres ne doivent plus appartenir uniquement au monde professionnel (experts comptables) mais aussi ils devraient appartenir au monde académique, plus sensible aux problèmes de la croissance et du développement. Les universitaires ont des idées pour leurs pays respectifs et non pas uniquement des intérêts pécuniaires et des clients à défendre. Aussi, l’IASB doit se rapprocher géographiquement en installant dans chaque région (pays du grand Maghreb, pays du moyen orient…), voire dans chaque pays, une représentation dont l’objectif est de diffuser le produit IFRS en le rendant plus terre à terre et de faire bouger le monde de la comptabilité financière. Enfin, il doit financer le développement comptable pour que les comptables ne soient plus considérés comme de simples compteurs d’haricots.

mercredi 1 juin 2011

Convergence vers les IFRS : les pays émergents suivent le mouvement

source: Wikipédia

Impliqué dans la transition aux IFRS de pays émergents et en voie de développement, le cabinet Bellot Mullenbach & Associés et sa filiale BMA Conseil & Formation, ont réalisé une étude statistique relative à l’application des normes IFRS dans ces pays. L’étude met en évidence :
L’important nombre de pays émergents qui ont ou vont appliquer les principes IFRS et l’accélération du processus entre 2008 et 2011
Les modalités de transition choisies par nombre de ces pays, qui diffèrent de nombreux pays européens comme la France, qui avait fait le choix d’interdire les IFRS dans les comptes sociaux et de faire converger très progressivement le référentiel national vers les principes des IFRS. Cette solution prudente a rendu incontournable le débat sur un troisième référentiel (un quatrième si l’on compte le CRC 99-02 pour les comptes consolidés en France) : le référentiel « IFRS entités privées » appelé couramment « IFRS PME ».
A l’inverse, les pays émergents profitent de la refonte de leur réglementation comptable pour « aller plus loin » que certains pays développés, et adopter un plan comptable national compatible avec les IFRS. A titre d’exemple, l’Algérie a adopté un plan comptable très largement inspiré des IFRS : les grands principes et les principales notions sont identiques aux IFRS, seules les normes les plus complexes et inadaptées à l’économie locale ont été modifiées. Sur le panel de 27 pays émergents (selon les critères retenus par le FMI pour recenser ces pays), BMA Conseil & Formation a identifié 17 pays, soit 63% de l’échantillon qui, à fin 2007, interdisaient le référentiel IFRS. Ils ne seront plus que 3 (11%) en 2012 (sous réserve de décisions non encore officialisées) puisque 14 (52 %) d’entre eux ont ou vont entamer un processus de convergence. Ils vont venir étoffer la liste déjà significative des pays qui avaient déjà adopté le référentiel (10 pays à fin 2007, soit 37%) avec des modalités d’application diverses (référentiel IFRS autorisé pour toutes les sociétés, obligatoire pour les sociétés cotées uniquement…). Sur le panel de 128 pays (critères FMI), le recensement est plus difficile (manque d’information, décisions en cours mais non officialisées…). BMA a cependant recensé 69 pays (54%) autorisant déjà le référentiel IFRS. Sur ces 69 pays environ la moitié ont choisi d’autoriser ou de rendre obligatoire les IFRS pour toutes les sociétés quelles que soient leur taille. Cette diffusion des normes IFRS à travers le monde a même amené l’IASB à envisager l’élargissement du board à de nouveaux continents en ajoutant un critère géographique aux critères de sélection des membres. Le board devrait ainsi intégrer 16 membres supplémentaires dont 4 européens, 4 membres originaires du continent américain et 4 autres du continent asiatique. Les quatre derniers membres pourraient être des représentants du continent africain.