mardi 18 janvier 2011

Interview intégrale que j’ai accordée à Eco-Journal



Eco-journal : Comment jugez-vous les normes comptables actuellement utilisées en Tunisie?

Mohamed Faker KLIBI : L’application des normes comptables nationales actuellement en vigueur date de 1997. Donc, après 14 ans d’application, je crois que les professionnels comptables (experts comptables, comptables agrées, comptables salariés) ont bien saisi l’âme desdites normes et fournissent,  par conséquent, une bonne expertise aux entreprises tunisiennes (et les entreprises étrangères aussi). Cette situation a été profitable pour les utilisateurs des états financiers (qu’on peut aussi qualifier d’acteurs économiques)  ; surtout les  investisseurs, les banquiers, les analystes, les  journalistes et… le public d’une manière générale (peu initié aux chiffres comptables) qui accède de plus en plus à une vulgarisation des informations financières et comptables (souvent techniques) assurée par la presse économique et financière (revues spécialisées, sites web, radios, blogs…etc.). En bref, jusqu’à maintenant, je pense que les normes comptables tunisiennes décrivent adéquatement  l’activité des entreprises  et adhèrent aux besoins actuels des utilisateurs des états financiers. Mais, en économie il faut toujours savoir  anticiper les besoins futurs des différents acteurs économiques, surtout ceux qui observent l’entreprise de l’extérieur et qui s’intéressent éventuellement à l’évaluation de ses activités pour une raison ou pour une autre. En effet, dans un environnement mondialisé et dont l’évolution est très rapide et contingente, on ne s’intéresse plus uniquement à la performance et à la situation financière intrinsèques de l’entreprise ou bien  à la manière avec laquelle cette dernière est gérée. Il faut plutôt que l’information publiée renseigne sur les impacts positifs et négatifs du marché (commercial, financier, bancaire, immobilier…etc.) sur la performance, la situation financière et la richesse des propriétaires de l’entreprise. Sur le plan normatif, il faut passer d’une logique comptable basée sur le coût historique à une logique comptable qui plaide en faveur de la juste valeur. C’est pour cette raison que la Tunisie se prépare actuellement à passer à une autre réforme comptable consistant à adopter le référentiel comptable international qui met en avant un principe comptable (parfois contesté, parfois désiré) nommé juste valeur.              
EJ : Les entreprises tunisiennes et les experts comptables sont-ils prêts pour le passage vers les normes IFRS? Pourquoi?

MFK : Actuellement aucune personne (morale ou physique) n’est prête pour assurer ce passage. C’est pour cette raison que la décision d’adoption des normes IFRS est dotée d’une dimension stratégique : l’adoption des normes internationales n’est pas pour demain, il faut donc se préparer encore. Mais il faut dire que cette préparation est très difficile. Pour maîtriser les normes IFRS, les grands cabinets d’expertise comptable dotés d’importantes ressources financières et d’un réseau international très puissant ont su former leurs experts et collaborateurs – en Tunisie et à l’étranger – auprès d’un nombre de formateurs d’une réputation internationale. Actuellement, ces cabinets (qui ont déjà reçu leur formation) proposent de former les cadres d’entreprises tunisiennes en contre partie, ils demandent une rémunération dépassant, parfois, le budget de formation de la majorité des entreprises tunisiennes surtout les PME. Les autres  experts comptables et les universitaires (spécialistes en comptabilité)  comptent plutôt sur leurs propres moyens pour se former et former des professionnels comptables ou des étudiants inscrits en licences ou en  mastère comptabilité. Dans ce cadre, quoique l’effort consenti  par ces derniers intervenants soit louable pour qu’ils se forment eux même, je pense que  l’Etat est appelé à intervenir (surtout pour le cas des universitaires) pour les aider à mieux maîtriser les IFRS et à assurer, par conséquent, un enseignement d’une meilleure qualité pour les futurs comptables et experts comptables.   

EJ : Est ce qu'il y a une démarche bien déterminée à suivre pour l'adoption de ces normes?

MFK : Pour réussir l’adoption et surtout l’application des normes IFRS,  il est impératif d’impliquer tous ceux qui s’intéressent à la chose comptable et à la transparence du milieu des affaires. Dans ce cadre, une commission consultative qui représente l’Etat, les professionnels comptables, les universitaires, les chefs d’entreprises…etc., pourrait fédérer l’effort de tous ces acteurs et à laquelle sera confiée la charge de la préparation d’un plan d’action rigoureux qui retrace l’ensemble des étapes menant à l’adoption des normes internationales. A mon avis, le point central qui doit être discuté lors de la préparation de ce plan est la formation des comptables. C’est eux qui, par leur pratique adéquate et raisonnée des IFRS, peuvent éclairer les différents acteurs économiques sur la véritable santé financière des entreprises. Ce plan doit ressortir un référentiel de compétences (génériques et techniques) requises pour bien appliquer les normes comptables internationales. Ce référentiel doit être pris en considération par les formateurs professionnels et par les universitaires. 

EJ : Quels sont les différents apports de ces normes?

MFK : Les apports de ces normes sont nombreux. On va se contenter d’évoquer et d’analyser les apports les plus pertinents : 
1.      
 L’apport des normes IFRS , serait tout d’abord bénéfique sur un niveau macro – économique parce qu’une pareille démarche est susceptible de renforcer l’adhésion de la Tunisie par rapport à une communauté internationale (notamment les pays développés)  prête à nous faire bénéficier d’un investissement direct étranger et de ses avancées technologiques en la matière. Ajoutée à cela une meilleure lisibilité des comptes de nos entreprises par les utilisateurs étrangers.
2.        
Avec l’application des normes IFRS on peut assister à une sorte de démocratisation de la relation entreprise – utilisateurs des informations financières et plus particulièrement le public. En effet, les normes internationales poussent les dirigeants des entreprises à publier le maximum d’informations renseignant sur les faits économiques et financiers ayant impacté ou susceptibles d’impacter  l’activité présente et future de l’entreprise. Dans tout ça, je pense à un utilisateur bien particulier : le public. En effet, les bailleurs de fonds, les analystes et les journalistes ont leurs propres moyens (privés) pour accéder à une information de qualité. Le grand public, on ne peut l’intéresser que par une information publique ; donc celle mesurée sur la base des normes IFRS. Dans ce cadre, on compte beaucoup sur les journalistes spécialisés  (à mon avis c’est une mission nationale) pour vulgariser les informations comptables et financières pour que le grand public, constitué de citoyens appartenant à la classe moyenne (plus de 80% de la population tunisienne), contribuent à l’essor de notre économie (en investissant dans la bourse par exemple ou en prenant  plus d’initiative en matière de constitution des sociétés).     
3.        
A mon avis, les normes IFRS respectent mieux l’intelligence et le travail du professionnel comptable. En effet, ces normes se basent essentiellement sur des principes et ne fournissent pas des règles comptables précises à suivre à la lettre par le professionnel comptable. Ce dernier semble avoir une obligation de résultat : publier des informations à caractère financier qui aident à la prise d’une décision économique. Donc, en se basant sur ces normes, le comptable devrait s’imprégner de la culture comptable qu’inspirent les  IFRS,  compter sur son jugement professionnel pour interpréter lesdites normes dans un sens qui aide à rendre l’entreprise transparente et à être, par conséquent, mieux suivie par les investisseurs, les analystes, les journalistes…etc.
 

Offrir plus de possibilités à nos étudiants qui détiennent un diplôme de comptabilité à accéder au marché de travail d’autres pays. En effet, avec l’ouverture du marché de travail à l’international, nos étudiants peuvent valoriser leur savoir et savoir faire en offrant leurs  connaissances et aptitudes à d’autres entreprises qui se trouvent sous d’autres cieux et qui appliquent déjà les normes IFRS. C’est pour cette raison que l’université tunisienne a commencé, avant même que le normalisateur tunisien les adopte, à enseigner les normes internationales.       

L’évolution du marché boursier tunisien passe par une communication financière volontaire, régulière et efficace

C’est grâce à la communication financière qu’on peut parler d’un climat de confiance entre entreprises faisant appel public à l’épargne et la communauté financière : principalement les actionnaires, les investisseurs financiers potentiels, les analystes financiers, la presse économique et financière, les agences de notation, les syndicats, les étudiants – chercheurs et le - large public- d’une manière générale constitué par des agents économiques à capacité de financement mais peu familiarisés avec le monde de la bourse.
La communication financière peut être définie comme l’action de communiquer au public toute information qualitative ou chiffrée, souvent mesurée en se référant à une base monétaire, et renseignant sur l’activité économique (passée, présente et future) de l’entreprise. Les informations financières peuvent être issues d’un système d’information réglementé (comptabilité financière, donc nous parlons de données objectives) ou bien volontaire (dans ce cas, nous parlons de données subjectives). C'est dans ce sens que plusieurs études ont montré que communiquer financièrement aide les entreprises cotées à trouver facilement un financement (augmentation de capital ou émission d’emprunt obligataire), à promouvoir leurs titres, à diversifier leurs actionnaires et d’une manière générale à améliorer leur image institutionnelle.
Plusieurs supports peuvent aider l’entreprise cotée en bourse à s’exprimer financièrement et d’une manière efficace auprès de son public, nous citons à titre indicatif :
La presse économique et financière (télévisions, radios, revues spécialisées, journaux, sites Internet…etc.);
Le site Web de l’entreprise concernée (dans une rubrique spécifique appelée : actionnaires, investisseurs, finance ou données financières…etc.);
Les sites Internet des intermédiaires en bourse; et
Tout autre moyen permettant de transmettre fidèlement les données financières.
La politique de la communication financière au sein des entreprises cotées est normalement confiée à un spécialiste en la matière appelé informateur financier ou d’une manière plus fantaisiste « investor relation ».
La problématique de la communication financière devient, à notre sens, d'un intérêt majeur pour les entreprises tunisiennes, notamment à la veille de l’ouverture de notre économie sur le marché européen présentant des potentialités de compétitivité considérables. Mais, aujourd'hui, en Tunisie, peut-on parler d’entreprises qui sachent efficacement et régulièrement s’exprimer financièrement auprès du public qui s’intéresse de loin ou de près à leur activité ?
A notre avis, pour la majorité des entreprises tunisiennes cotées en bourse, le moyen le plus utilisé pour communiquer financièrement est la publication des états financiers annuels, semestriels et parfois trimestriels (surtout pour les établissements bancaires) dans des journaux locaux. Autrement dit, les entreprises se contentent de faire le strict minimum exigé par la loi comptable (loi 96 – 112 relative au système comptable des entreprises) et boursière (entre autres la loi 94-117 portant réorganisation du marché financier et la loi 2005-96 relative au renforcement de la sécurité des relations financières). Cependant, la compréhension des données comptables que nous trouvons dans les états financiers n’est pas accessible au large public qui a besoin d’une culture financière et boursière.
D’un autre côté, les entreprises tunisiennes, qui font appel public à l’épargne, essayent de transmettre des informations financières à travers des communiqués de presse publiés dans des journaux ou dans les sites Web de la bourse des valeurs mobilières de Tunis ou de quelques intermédiaires en bourse. Ces communiqués sont souvent repris par des sites spécialisés dans l’analyse financière ou bien par la presse économique et financière. Cependant, le contenu de ces communiqués est souvent général et peu analytique.
Les entreprises tunisiennes cotées s’expriment financièrement aussi lors des assemblées générales (ordinaires ou extraordinaires), à huis clos, c'est-à-dire devant leurs actionnaires (souvent institutionnels ou appartenant à une ou deux familles). Nous notons par ailleurs, que la communication financière est souvent faite d’une manière ponctuelle en ce sens que le grand public, souvent habitué à connaître les sociétés cotées à travers leur communication commerciale (spots publicitaires (à la télévision ou à la radio), affiches…etc.), peut accéder à une communication financière d’une entreprise immédiatement avant l’augmentation de son capital.
Il faut rappeler dans ce cadre, que l’une des caractéristiques de la communication financière est la régularité. A notre avis, ce qui reflèterait la volonté des entreprises tunisiennes en matière de communication financière régulière et volontaire, serait le contenu de leur site Web. C'est ce qui nous a poussé à investiguer le fait que les entreprises tunisiennes aient ou non prévu une rubrique (sous forme de lien) pour les actionnaires et les investisseurs financiers potentiels. Cette rubrique pouvant figurer sous l'un des noms suivants: actionnaires, investisseurs, finances, corporate, informations financières…etc. lire la suite

mardi 11 janvier 2011

une interview que j'ai accordée à EL WATAN - Algérie

«Actuellement, le SCF dépasse les besoins de l'entreprise algérienne»
Mohamed Faker Klibi. Docteur en sciences comptables
Safia Berkouk
El Watan : 10 - 01 - 2011
Mohamed Faker Klibi est docteur tunisien ès sciences comptables et enseignant à l'ESSECT de Tunis. Il s'intéresse depuis longtemps à la possibilité d'adoption des normes internationales d'informations financières (IFRS) par les pays en développement en général avec pour objectif de définir ses perspectives, ses opportunités et ses enjeux. Le chercheur défend l'idée selon laquelle l'adoption des normes IFRS pour les pays en développement revêt d'autres intérêts que le simple souci de transparence et circulation de l'information comptable et financière des entreprises. L'enjeu serait d'envergure internationale et c'est ce qu'il nous explique dans cet entretien qu'il nous accorde.
-Vous développez l'idée que l'enjeu de la mise en œuvre de normes internationales en matière de comptabilité pour les pays en développement n'est pas seulement interne et en relation avec l'intérêt immédiat des entreprises. Pourquoi ?

Le système comptable international est conçu pour...lire la suite sur ce lien