dimanche 6 mars 2011

Les normes IFRS dans les pays MENA : parle-t-on d’un produit de marque ?


Anas KOSSENTINI (Universitaire ; Doctorant en Sciences Comptables)

Longtemps débattue dans les écrits académiques et professionnels, la question de la pertinence des normes comptables internationales –IFRS–, pour le cas des pays en développement, a fait l’objet de vives contestations constamment renouvelées. L’organisme international de normalisation comptable (IASB), jouit ces dernières années d’une reconnaissance mondiale, non seulement dans les pays développés (pays de la zone Euro, Canada, Australie), mais aussi dans les pays en développement, entre autre les pays MENA (Les pays du Moyen Orient et du Nord Afrique). Confier la normalisation comptable à un organisme professionnel privé et distant dans ces pays laisse surgir à la surface d’un débat, de plus en plus routinier, une vague de questions, et même parfois, « d’énigmes » où les réponses semblent être divergentes et antinomiques. Est-ce-que le recours à de telles normes, originairement conçues pour satisfaire le besoin des pays développés, pourrait jouer le rôle d’un substitut merveilleux des normes comptables locales, parfois, inexistantes ? S’agit-il d’un réel besoin de transparence de l’information financière ou d’un simple mimétisme aveugle, privé de toute sorte de réflexion ou d’esprit critique ? Parle-t-on d’un produit de marque permettant à son acquéreur de conquérir un certain « prestige » commercial, ou du moins une légitimité ?
Même si, parfois, l’adoption des IFRS n’est pas totale, aujourd’hui, aucun pays MENA n’ignore ou rejette les IFRS. Si, d’un coté, on s’inspire de ces normes internationales pour concevoir les normes locales (par exemple la Tunisie et l’Iran), on peut, d’un autre coté, les rendre permises (par exemple le Maroc et l’Israël) ou même obligatoires pour quelques types de sociétés (par exemple l’Arabie Saoudite). Nécessitant l’adoption totale des IFRS pour pouvoir qualifier un pays d’adoptant sérieux, plusieurs sont ceux qui pensent que les autres formes d’adoption « partielle » ne sont qu’une façade trompeuse, qui se dissimule derrière la fameuse expression « adoption des IFRS ». Le recours à ces formes d’adoption déplacées et qui défavorisent les normes comptables locales, souvent satisfaisantes et qui sont conçues pour répondre aux particularités du pays, est accompagné par un manque de familiarisation tant sur le plan éducatif que professionnel.
Considérées aux yeux du professeur Belkaoui comme « transfert/adoption d’une technologie », les normes IFRS ressemblent ces jours-ci à « facebook » (le portail de communication le plus populaire dans le monde). Même si ce dernier s’affronte à des produits de substitutions (essentiellement Twitter et FlickR), offrant parfois des caractéristiques plus sophistiquées, aucun des utilisateurs des réseaux sociaux ne peut se passer à coté d’un compte « facebook ».
En effet, si on prend l’exemple du Maroc qui a rendu l’utilisation des IFRS permise pour les sociétés cotées à partir de 2004, on remarque que quelques sociétés ont opté pour le référentiel international, alors que les autres continuaient à utiliser les normes marocaines qui se rapprochent d’un modèle comptable franco-germanique. Face à deux référentiels complètement divergents, le résultat ne peut être qu’une paralysie au sein du milieu des affaires. Certes, les préoccupations de la légitimité internationale sont importantes, mais, dans un monde caractérisé par le décloisonnement des marchés financiers et économiques, la valeur ajoutée que pourrait apporter le titre « pays adoptant des IFRS », semblerait prendre le dessus. Attirer les investisseurs étrangers par une pseudo-adoption, a pour objectif de faire apparaitre avoir un meilleur reporting financier basé sur un produit de marque (IFRS), légitime et internationalement reconnu.
Bien que l’analyse ci-haut avancée ait parti d’une logique commerciale, expliquer un phénomène comme celui de l’adoption des IFRS dans les pays en développement reste toujours ardu et nécessite de gros efforts de la part des chercheurs en la matière. Face à cet énorme défi, et en ayant confiance en la qualité des chercheurs tunisiens et arabes, je suis plein de certitudes que les travaux et les écrits dans ce sujet vont se multiplier dans une ère de démocratie globale qui règne le monde arabe. Une ère, où les plumes se sont libérées.

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