Un passage du rapport d’audit (2011) de la BH (Banque de l’Habitat) a attiré mon attention. Dans ce rapport nous pouvons lire ce qui suit «La société mère ne comptabilise les charges relatives aux indemnités de départ à la retraite et des charges relatives aux cotisations assurance-groupe des retraités qu’au moment du départ effectif à la retraite. Ainsi, il n’est pas procédé à la constatation de provisions pour indemnité de départ à la retraite relatives aux engagements découlant de la convention collective qui prévoit une indemnité de six fois le dernier salaire servi à l’employé et de provisions relatives aux cotisations assurance-groupe des retraités qui sont estimées sur la base de la méthode de rattachement linéaire conformément à la norme internationale IAS 19 " Avantages du personnel" à un montant de 14 435 Mille Dinars. A cet effet, une consultation a été initiée par les autorités compétentes auprès de l’OECT afin d’arrêter une méthode applicable à l’ensemble du secteur bancaire. » (lien – voir page 3/6 paragraphe 5).
Le même paragraphe (mot à mot) avec la même prise de position comptable se trouve dans le rapport d’audit de la STB de l’exercice 2010 (le rapport 2011 est non disponible sur internet). Le point commun entre les deux rapports ? : Les mêmes commissaires aux comptes !!
En lisant ce paragraphe, deux remarques me font conclure que la comptabilité en Tunisie ne sert pas à beaucoup de choses. Je pense même, que telle qu’elle est normalisée et pratiquée, la comptabilité constitue un centre de coût qui étouffe la trésorerie des entreprises et alourdit les rouages et les maillons d’un bon déroulement économique qui suppose un minimum de transparence financière.
Première remarque : Parmi les sociétés qui sont cotées en bourse, 3 entreprises (des banques, plus précisément) se réfèrent à la norme IAS 19. La BH et la STB ne l’appliquent pas (mais la mentionnent dans leurs rapports) lorsqu’il s’agit de comptabiliser les indemnités de départ (six fois le dernier salaire). Par contre, la BNA (Banque Nationale Agricole) l’applique. C’est vrai, en Tunisie on n’a pas encore adopté une norme équivalente à l’IAS 19 (avantages du personnel), mais, le bons sens comptable nous enseigne qu’une norme internationale pourrait être adoptée si elle ne contredit pas un principe comptable prévu par le cadre conceptuel tunisien. Par conséquent, on ne peut pas laisser tomber un principe comptable comme le rattachement des charges aux produits qui recommande un étalement linéaire (faute de mieux !!) des charges, et en l’occurrence, sur la période qui coïncide avec le nombre d’années jusqu’au départ à la retraite que compte passer un employé dans la société qui accorde à ses salariés des indemnités de départ. C’est durant cette carrière que des avantages (effort de travail déployé par le salarié) seraient bénéfiques à la société. Le contenu de la norme IAS 19 ne peut apporter que des petits détails (par rapport à l’esprit du principe de rattachement des charges aux produits) tels que, par exemple, la prise en ligne de compte (pour le calcul de la provision) du risque de mortalité, de l’évolution prévisionnelle des salaires, de la probabilité de départ (turnover) et du taux d’actualisation financière. Dans tous les cas, ce flou devant une difficulté comptable pourrait facilement être évité si une veille comptable avait été pratiquée par le normalisateur tunisien. Enfin, je vous laisse répondre à cette question : un investisseur tunisien voulant allouer son épargne à l’une de ces trois banques (BH, STB et BNA), pourrait – il se retrouver devant une information financière comparable ? Je rappelle qu’en Tunisie, la comparabilité étant un pilier de la qualité des états financiers.
Deuxième remarque : le normalisateur tunisien (CNC), sensé être le garant d’une excellente cohérence normative, est totalement absent de la scène comptable tunisienne. Il pousse les entreprises à commettre un crime contre la transparence financière : le shopping comptable ou le vagabondage comptable qui consiste à mettre dans le panier du référentiel comptable qui sera utilisé pour décrire l’activité économique de l’entreprise, des normes comptables d’ici et d’ailleurs. Et ce qui est plus grave, c’est que les prérogatives que la loi donne officiellement au CNC se trouvent transférées officieusement à l’ordre des experts comptables tunisiens.
Du paragraphe que nous avons tiré du rapport d’audit de la BH, nous reprenons le passage suivant qui explique l’inquiétude du commissaire aux comptes face à une situation floue (la manière avec laquelle on comptabilise les indemnités de départ) qui n’est pas régie d’une manière explicite par les normes tunisiennes : « A cet effet, une consultation a été initiée par les autorités compétentes auprès de l’OECT afin d’arrêter une méthode applicable à l’ensemble du secteur bancaire !! » Pour comprendre où je veux aller, je vous propose de lire l’article 5 de la loi 96 – 112 relative au système comptable des entreprises :
« Il est institué un Conseil National de la Comptabilité chargé d'examiner et de donner son avis sur :
- les projets de normes comptables et les modalités de leur application,
- les projets de textes légaux et réglementaires qui comportent des dispositions ayant trait à la comptabilité,
- les sujets relatifs à la comptabilité.
- Le conseil est également chargé d'examiner les questions relatives à la comptabilité et de proposer les moyens de son amélioration. »
J’avoue que les experts comptables tunisiens sont très compétents et derrière eux il y a un ordre professionnel (OECT) qui impose le respect et qui veut contribuer à un meilleur essor économique. Toutefois, la normalisation comptable ne doit pas être confiée aux seuls experts comptables : il faut de tout pour faire un monde et la normalisation comptable est un monde…à part. Hors du développement comptable, point de salut.