mardi 27 mars 2012

Pourquoi l’Afrique subsaharienne est – elle contre l’application des IFRS ? Rester dans la sphère réelle n’est pas une mauvaise idée !!



Le point de départ d’une normalisation comptable africaine saine et efficace

Le continent africain ne veut pas tricher ; il ne veut donc pas spéculer pour inventer une matière qui n’existe pas. Cette matière est déjà là (on est donc dans une sphère réelle… économique...proche des soucis du citoyen). Il faudrait, tout juste, rationnaliser sa gestion pour qu’elle rime mieux avec un développement durable « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette gestion rationnelle est, en théorie, déléguée à des entreprises créatrices de valeurs – économiques puis sociales - (sous l’impulsion de lois incitatives – mais contraignantes en même temps - émanant de politiciens patriotiques et élus démocratiquement). Les gestionnaires de ces entreprises doivent obligatoirement rendre compte, non pas uniquement aux bailleurs de fonds, mais à l’ensemble d’une nation avide de transparence. Cette nation ne s’intéresse pas à la publication d’un bénéfice net, défiguré par l’ajout de performances et de contre performances issues d’un ensemble de spéculations souvent nourries par des intérêts pervers ce qui pourrait nous mettre devant des marchés caractérisés par des valeurs non justes. Cette nation s’intéresse plutôt à la publication de la quantité de valeurs ajoutées réellement créées…seules capables d’enclencher une politique sociale basée sur la notion de partage équitable. Si on est dans la logique d’une sphère réelle, pourquoi cherche – t – on à aller vers une sphère financière plus adaptée avec la culture des casinos ? Les normalisateurs et les professionnels comptables des pays africains appartenant à des unions économiques régionales (telles que l’UEMOA et l’OHADA) attaquent souvent le côté financier des IFRS. Ils prennent la même position qui a été prise par l’ex président français, Jacques Chirac, à l’encontre de ces normes qualifiées de silencieuses, mais capables de « conduire à une financiarisation accrue de l’économie et à des méthodes de direction des entreprises privilégiant trop le court terme ». L’ex président français décrit le cas de l’Europe. Que dire alors du cas africain ?

Quelles sont, donc, les lignes directrices qui guident les normalisateurs de l’Afrique subsaharienne en matière de comptabilité ?


Normalisation comptable africaine entre modernité, réalité économique et perspectives de développement

Je retiens toujours la devise de M. Yoro Dieng formulée lors de la journée africaine de comptabilité (la normalisation comptable à l’heure de la mondialisation (juin2007)) : maintenir l’effort de modernisation en étant attentif aux IFRS, afin de définir des normes adaptées à la taille et à la mesure de nos entreprises, en tenant compte des spécificités de nos pays.
Ma lecture de cette devise est la suivante :
L’économie africaine ne devrait jamais échapper à la sphère réelle. Elle ne devrait jamais être entachée par la spéculation et le court terme. Elle ne devrait jamais se déplacer vers les marchés financiers. Les normes comptables internationales, normes anglo-saxonnes (je rappelle que les pays anglo-saxons – particulièrement l’Angleterre et les USA – ne sont pas connus par une histoire économique basée sur l’industrie –créatrice de valeur par excellence – mais plutôt par une économie basée sur le tertiaire et la finance: lire plus sur ce sujet - voir la cité de Londres - ) se basent sur le principe de la prééminence du fond sur la forme. Le fond qui doit l’emporter sur la forme juridique est un fond économique…il ne devrait jamais être financier. A mon avis, le normalisateur international a réussi à mettre en œuvre plusieurs normes très intéressantes. Ces dernières respectent, d’une part, l’évolution de la conjoncture économique, de plus en plus caractérisée par le risque et par le développement de la taille des entreprises, et, d’autre part, la modernisation des pratiques managériales influencées par l’évolution des TIC et par la domination des aspects stratégiques. Cependant, le normalisateur international a échoué lorsqu’il a voulu élaborer des normes dont l’objectif est de composer avec une sphère financière nuisible à la stabilité ; non pas celle de l’économie, mais plutôt celle de la croyance des acteurs économiques. Ces normes consacrent l’adage qui devient de plus en plus à la mode : le thermomètre qui a tué le patient !!
C’est ce qui semble être pris en ligne de compte par le système SYSCOA – OHADA qui se forge autour d’un plan comptable nourri par quelques aspects de la normalisation comptable internationale. Les aspects retenus sont ceux qui consacrent, en effet, le fond économique des différentes opérations effectuées par les entreprises qui appliquent le SYSCOA. Ce dernier propose une normalisation comptable qui « doit clairement rester dans le cadre d’un système prudent d’évaluation, et éviter tous les pièges, ruses et leurres de la juste valeur financière qui n’est valable et économiquement justifiée qu’au seul instant de son calcul et sous l’hypothèse, très loin d’être validée, d’un fonctionnement de marchés efficient » (Eric Delesalle).

Dans ce qui suit, je publie le témoignage d’un ami, Mr Séduisant TAZ-MBODI, auditeur diplômé de l'INTEC-CNAM de Paris et professionnel de l'audit et de la comptabilité, qui a accepté de répondre à mes questions.



1. Quel est le système comptable appliqué par les entreprises de la République du Congo ? Quelles sont ses spécificités ?

Réponse : En République du Congo, c'est le Droit Comptable OHADA qui
est appliqué avec le système comptable y relatif. Il s'agit d'un cadre
comptable assez nourri qui met en exergue toutes les opérations de la
vie de l'entreprise, depuis son initiation (création), ses variations
et sa dissolution probable. De plus l'OHADA a inséré dans ses normes,
les aspects liés à la Consolidation des comptes. Aux principes
comptables fondamentaux (intangibilité du bilan, prudence, coût
historique, permanence des méthodes, non compensation, cut off, importance
relative), l'OHADA prend en compte la norme IAS/IFRS de la prééminence
de la réalité économique sur l'apparence juridique, contrairement au
PCG Français qui n'y fait pas allusion. A ce titre, les opérations de
crédit-bail ainsi que les effets escomptés non échus, sont directement
comptabilisées au patrimoine et au résultat de l'entreprise, donc
aucun besoin de retraitement dans le cadre d'une quelconque
consolidation des comptes.

2. Ce système adhère – t – il aux besoins actuels des utilisateurs des états financiers congolais ?

Réponse : Oui, ce système adhère parfaitement aux besoins actuels des
utilisateurs des états financiers congolais, qui pour la plupart sont
des sociétés anonymes, soumises au système normal de prélèvement
fiscal. Les normes OHADA permettent à ces entités juridico-économiques
de produire des états financiers reflétant l'image fidèle de leur
patrimoine, de leur résultat et de leur situation financière.

3. Pourquoi êtes-vous contre une application des apports (entre autres le modèle de la juste valeur) des normes comptables internationales(IAS/IFRS) ?

Réponse : En ce qui concerne l'évaluation des actifs à la juste
valeur, je suis contre de prime abord pour la simple et bonne raison
que cette méthode, qui a déjà fait couler beaucoup d'encres, a été à
l'origine de la dérégulation financière et donc partie prenante de la
crise financière qu'a connue les marchés de par le monde. Les subprimes
en sont une illustration plus que nette. Je prône un retour strict au
coût historique qui est une garantie, tant pour les créanciers, que
pour les débiteurs. La spéculation n'est pas une référence pour moi et
je pense qu'il faut de la "Morale" même en Finance. Enfin, je vous
renvoie au blog de l'Institut Turgot
http://blog.turgot.org/index.php?post/Huerta-de-Soto qui parle de
retour au principe de prudence en comptabilité. Ce blog est assez
édifiant sur les dérives de cet emprunt au monde anglo-saxon qu'est la
"Fair Value" (Juste Valeur).

4. Pour vous, est ce qu’il y a un lien significatif entre la normalisation comptable et le développement économique et social en Afrique ?

Réponse : Il existe bel et bien un lien intrinsèque entre la
normalisation comptable et le développement économique et social en
Afrique mais l'espace ici est assez petit pour développer un sujet
aussi vaste. Ce qu'on peut en dire en résumé est que "l'harmonisation"
(je préfère ce terme à la normalisation) constitue un socle pertinent
de comparaison entre les différentes économies et un référentiel pour
les investisseurs. Mais ce sujet est assez vaste et ne se limite pas à
ce que je viens d'évoquer, peut être y reviendrons-nous plus tard.

dimanche 11 mars 2012

L’avion du président tunisien déchu et le malaise des normes comptables tunisiennes : faudrait – il que la tunisair applique l’IFRS 5 ?



La Tunisair est une compagnie en difficulté. Cette difficulté, qui a atteint son paroxysme en 2011, est, d’une part, la conséquence du repli de l’activité économique (les revenus de 2011 – estimés à 878 975 KDT – ont connu une baisse de 11,3% par rapport à ceux de 2010) et des conditions sécuritaires qui caractérisent l’ère post-révolution. Cette période de crise est d’autre part, renforcée par l’augmentation des prix du carburant qui a « induit le recours à des crédits d’exploitation dont le volume est aux alentours de 8% du chiffre d’affaires» (source). Une difficulté qui devrait être traduite fiablement et pertinemment dans les états financiers de cette compagnie.



Dans ce cadre, il faut mentionner que la situation financière de Tunisair prend en considération l’existence de deux avions hors plan de vol et hors stratégie commerciale dont le coût global, selon le rapport des commissaires aux comptes de l’exercice 2010 (source), est estimé à 266 684 millions de dinars. L’un de ces avions est un airbus A 340 qui pourrait inspirer plusieurs histoires (lamentables bien sûr et malheureusement !!) au contribuable tunisien.

L’airbus A340 est le splendide avion choisi par le président tunisien déchu pour se déplacer, lui et tous les membres de sa famille, confortablement d’un lieu à un autre. Cet avion acquis en 2009, puis réaménagé (par les soins de la société française Sabena technics) pour correspondre aux goûts (très bien cultivés à travers 23 ans de vie luxueuse dans les palais) de l’ex président tunisien et de sa femme. En effet, cet avion, ayant la capacité de voler 16 000 km sans arrêt, contient des chambres et des salons dont le décor est assuré par Louis Vuitton.



Au titre de l’exercice 2010, les charges attribuées (dotations aux amortissements, charges financières, pertes de change) à la détention des deux dits avions s’élèvent à 15 702 millions de dinars. Quant aux produits (liés aussi à cette détention) réalisés au titre du même exercice, ils s’élèvent à 400 millions de dinars ; soit un résultat net de - 15 302 millions de dinars. Par ailleurs, les commissaires aux comptes de la Tunisair mentionnent dans leur rapport que la compagnie aérienne «a obtenu le 3 mars 2011 l’autorisation pour la mise en vente de ces deux appareils ». Cette situation est régie comptablement par les dispositions de la norme comptable internationale IFRS 5 : Actifs non courants détenus en vue de la vente et activités abandonnées. Cette norme recommande que les actifs qui satisfont aux critères de classification comme détenus en vue de la vente (nous rappelons que les deux avions de Tunisair sont disponibles en vue de la vente dans leur état actuel et cette vente est hautement probable ( étant donnée que l’autorisation a été obtenue de la tutelle – à savoir le ministère de transport) soient (1) évalués au montant le plus bas entre leur valeur comptable et leur juste valeur diminuée des coûts de la cession, (2) ne soient pas soumis au calcul de l’amortissement, (3) soient présentés dans le bilan d’une manière séparée et (4) les résultats y relatifs soient présentés distinctement dans le compte de résultat. A cet effet, et puisque l’autorisation est attribuée après la date de clôture de l’exercice 2010, les commissaires aux comptes auraient dû mentionner au niveau des notes aux états financiers (1) une description des actifs non courants (en l’occurrence les deux avions) et (2) une description des faits et des circonstances de la vente ou conduisant à la cession attendue, les modalités et l’échéancier prévus pour cette cession. Cet effort relatif à la reconnaissance du fond économique de cet événement (actifs détenus en vue de la vente) a pour objectif de fournir aux lecteurs des états financiers de la Tunisair (investisseurs, Etat, personnel, analystes financiers, journalistes et d’une manière générale tout le public soucieux de la gravité de la situation dans la quelle se trouve la compagnie aérienne nationale) des informations permettant d’évaluer les effets financiers de la cession future de l’actif (IFRS 5 § 30). D’autre part, les états financiers (bilan, état de résultat, état de flux de trésorerie) de l’exercice 2011 (non encore publiés jusqu’à cette date) doivent tenir compte de cet événement.

Dans ce cadre, on pourrait évoquer le fait que la Tunisie n’a pas encore adopté les normes comptables internationales, pourquoi donc parle-t-on d’une application de l’IFRS 5 ?
En effet, même si on n’a pas encore adopté ces normes internationales on peut, si le cas est particulier et n’est pas repris par la normalisation nationale (en l’occurrence le système comptable des entreprises (1997)) on peut se référer à une norme internationale si cette dernière ne contredit pas les principes comptables prévus par le cadre conceptuel tunisien. D’ailleurs, dans le même rapport des commissaires aux comptes de la Tunisair il est fait référence à l’IAS 17 révisée lorsque les biens acquis en leasing par Tunisair ont été évoqués ! (aussi, on peut revenir aux anciens rapports des commissaires aux comptes - par exemple ceux datant de 2005 - pour comprendre qu'en Tunisie, nos professionnels font toujours référence aux normes comptables internationales (source)). De même, l’application de l’IFRS 5 ne contredit pas le cadre conceptuel tunisien ; mais au contraire elle le respecte dans une large mesure. En effet, le vrai problème est pourquoi associe-t-on à ces deux avions des charges d’amortissement, des charges financières et des pertes de change en les confondant avec d’autres charges d’exploitation, s’ils (les deux avions) ne contribuent pas d’une manière significative à apporter à la Tunisair des avantages économiques ? (nous rappelons que ces deux avions sont mis actuellement hors plan de vols et hors stratégie commerciale). Si on considère ces avions comme faisant partie des actifs non courants, on n’est donc pas entrain de respecter le principe de rattachement des charges aux produits. Je rappelle aussi, que d’autres grandes entreprises tunisiennes appliquent des normes internationales ou une partie de leurs dispositions. Je cite l’exemple du groupe chimique tunisien qui applique l’IAS 19 (avantages du personnel) pour comptabiliser les quatre salaires qui seront versés aux salariés lorsqu’ils auront leur retraite. Le passif (appelé épargne sur charges sociales) constitué (au titre de l’exercice 2009) suite à la prise en compte de cette norme s’élève à 19 388 KDT : ce qui n’est pas peu !

Dans tous les cas, le cas Tunisair donne au normalisateur tunisien : le Conseil National de la Comptabilité le nième signal voulant dire que notre normalisation comptable commence à devenir malade et nécessite, a cet effet, une mise à jour immédiate et un effort considérable de benchmarking. Autrement, il est inutile de parler en Tunisie d’analyse économique et financière, véritable outil de diagnostic de notre croissance (à court terme) et de notre développement (à moyen et long terme) économiques.